Vous reprendrez bien un petit bout de terrain ?
- guillaume jouet
- 23 juin
- 4 min de lecture
À propos de la cession gratuite dans le cadre d'un permis de construire

À Saint-Barth, une pratique courante consiste à exiger la cession d'une portion de terrain dans le cadre de la délivrance d'un permis de construire. Tout terrain situé en bord de voie territoriale peut donc se trouver amputé d'une bande d'un mètre de large sur toute sa longueur au profit de la Collectivité, sans contrepartie financière.
Cette prérogative a été renouvelée dans la dernière version du Code de l'Urbanisme, conformément à l'article L 144-1, applicable au 1er janvier 2019.
Pourtant, cette pratique, autrefois en usage en métropole (e du 2° de l'article L.332-6-1 du Code de l'urbanisme) a été jugée inconstitutionnelle en 2010 (décision n° 2010-33 QPC). Elle est donc totalement abandonnée depuis.
Le Conseil constitutionnel a tout d'abord estimé que la cession gratuite exigée lors de la délivrance d'un permis de construire était contraire au principe de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel la propriété est « un droit inviolable et sacré ». Une cession peut-être en effet envisagée uniquement lorsque une indemnisation « juste et préalable » l'accompagne.
De plus, l'article L.332-6-1 « ne [définissait] pas les usages publics auxquels [devaient] être affectés les terrains ainsi cédés ». Le Conseil constitutionnel a donc estimé que l'article « [attribuait] à la collectivité publique le plus large pouvoir d'appréciation sur l'application de cette disposition » et n'était donc légalement pas applicable.
Ces dispositions de l'article L.332-6-1 ont été remplacées par l'instauration d'une taxe d'aménagement, permettant ainsi aux collectivités d'acheter le foncier nécessaire à la réalisation de travaux, soit de façon amiable, soit par voie d'expropriation.
On est tenté de considérer que tout cela ne concerne que la métropole. Saint-Barth, forte de sa compétence en matière d'urbanisme, a en effet rédigé un article particulier définissant les usages prévus lors d'une cession :

Pourtant, un permis ne peut être accordé que si le terrain justifie d'un accès public suffisant (directement ou par l'intermédiaire d'une desserte privée). Lui imposer une cession de terrain dans le but d'aménagements routiers nécessaires à sa desserte peut-il signifier qu'elle est insuffisante et que le permis devrait dans ce cas être refusé ? On se heurte alors aux articles 112-2 et 112-4 du Code de l'urbanisme, et il faut choisir : ou la desserte est suffisante et le permis est accordé sans conditions, ou elle ne l'est pas et ce dernier est refusé.
De plus, en quoi la création d'une maison de 30 mètres carrés dans un secteur urbanisé déjà desservi par la voie territoriale justifierait-elle la réalisation de « projets de voies publiques nécessaires à la desserte du secteur » ? Éventuellement acceptable sur des voies encore embryonnaires mais difficilement justifiable sur les axes principaux.
La plupart des cessions imposées sur l'île ont pour seul objectif l'installation de trottoirs. Ces derniers sont-ils « nécessaires à la desserte du secteur » et répondent-ils systématiquement à « l'intérêt général », la réunion de ces deux conditions étant impérative ? Ils ne sont en tout cas ni destinés à « la création d'une voie nouvelle », ni à « son élargissement ou redressement ». On note d'ailleurs que parfois, l'utilisation envisagée du terrain cédé par le pétitionnaire ne figure pas, ou de manière très succincte, sur la délibération du Conseil exécutif. Cela signifie-t-il qu'aucune décision n'a encore été prise quant à la finalité de cette cession ? Ce serait légalement bien ennuyeux…
Enfin, où se trouve l'équité si le propriétaire d'un petit terrain en bordure de route se voit réquisitionner une partie de son bien pour une maisonnette, quand un investisseur situé juste derrière lui et bénéficiant d'une servitude de passage va pouvoir créer un véritable lotissement sur une immense parcelle sans céder un seul mètre carré ? Charge au propriétaire du lot "servant" de financer par sa cession des travaux de voirie rendus nécessaires par l'ampleur des constructions voisines ?
Dans le même temps, chaque permis délivré par la Collectivité est soumis à une taxe d'aménagement censée, comme son nom l'indique, être affectée aux éventuels travaux nécessaires à la circulation. Or, la taxe d'aménagement en vigueur depuis 2012 au niveau national remplace justement les dispositions de l'article L.332-6-1 jugées inconstitutionnelles, permettant ainsi aux communes de financer l'achat de terrains pour élargir ou aménager leur voirie. Double peine à Saint-Barth, qui n'exonère pas de taxe d'aménagement les terrains soumis à cession gratuite ?
Beaucoup d'interrogations, donc, qui devraient être clarifiées d'une façon ou d'une autre. Les législateurs locaux seraient sans aucun doute prêts à défendre leur texte en cas de conflit devant les juges administratifs : imaginons un pétitionnaire réfractaire qui refuserait catégoriquement de céder une bande de terrain. Une aubaine pour la Collectivité qui verrait là l'occasion de renforcer sa législation de façon définitive après une victoire devant les juges.
À moins que les juges en décident autrement ? Dans ce cas, le fromage, faisandé depuis 2010, pourrait vite devenir puant…
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