- guillaume jouet
- 13 nov. 2023
- 4 min de lecture

Suite à la décision de la cour d’appel de Bordeaux qui avait annulé le permis Autour du Rocher en mars dernier, la société RSB a porté l’affaire devant le Conseil d’État, avançant pour se faire six arguments qui, selon elle, permettaient de casser cette décision.
Décidément, le sort s’acharne sur cet humble projet puisque le Conseil d’État n’a pas admis la requête, estimant que les moyens avancés ne sont pas de nature à faire réviser le jugement. Pas de cassation donc, le permis Autour du Rocher 2019 est, tout comme son prédécesseur de 2018, définitivement annulé, sans autre recours possible !
Saint-Barth échappe encore une fois au bétonnage massif d’un lieu devenu désormais symbole des combats menés contre les sociétés d’investissement qui n’ont que faire de l’île et de ses habitants. Voilà cinq ans que les voisins du projet se battent, obtenant l’annulation d’un premier permis et aujourd’hui du second, et n’ayant jamais cédé aux sirènes des compromis et autres discussions amiables. Opiniâtres, fermes et discrets… tout le contraire des bétonneurs bling-bling qui saccagent Saint-Barth depuis quelques années.
Conséquences directes :
Les deux projets annulés avaient pour base l'ancien règlement de la carte d’urbanisme. Celui-ci a changé en 2021, devenant plus restrictif. Si les surfaces de plancher autorisées n’ont malheureusement pas beaucoup diminué, les surfaces non imperméabilisées et végétalisées doivent désormais être plus importantes.
De même, les constructions en R+1 sont désormais impossibles sur cette parcelle. Terminés les suites master en étage avec vue sur la baie de Saint-Jean, suites en rez-de-chaussée pour les moins fortunés et locaux techniques accessibles en sous-sol.
Un éventuel nouveau projet devra apprendre l’humilité du rez-de-chaussée, c'est ballot !
Mais plus important encore, le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que la disposition particulière à la parcelle AP137 qui précise « Bâtiment à reconstruire » doit bien être prise au pied de la lettre, comme l’affirmaient les requérants depuis toujours. Il s’agit donc bien d’une reconstruction qui, si elle n’est pas forcément identique, ne peut outrepasser les surfaces de plancher de l’ancien bâtiment. La société RSB avançait une surface de plancher de 600 mètres carrés pour les constructions « historiques ». On est aujourd’hui bien loin des 1 300 mètres carrés accordés uniquement pour la partie haute du projet.
De plus, RSB avait, par excès de zèle sans doute, fourni des plans de l’existant avant incendie (soit avant 1991). Sur ces plans, qui n'ont aucune valeur légale, on a beau mesurer sous toutes les coutures, on ne trouve au final qu’environ 250 mètres carrés de surface de plancher. De plus, on n'atteint ce nombre qu'à condition d'inclure la partie « danse » (pour celles et ceux qui s'en souviennent avec émotion), qui n’était qu’un préau ouvert et n'était donc théoriquement pas intégré au calcul.
Il y aura donc matière à débat sur la surface réelle autorisée et le prochain pétitionnaire devra sans doute fournir les plans officiels ayant permis de délivrer le(s) permis de construire de la construction initiale. On ne peut en effet se targuer de reconstruire un bâtiment qui n'aurait eu aucune existence légale lors de sa construction ou pour lequel il ne reste aucune preuve tangible et précise de surface de plancher. L’intégralité des ruines ayant été volontairement rasée depuis 2018, il ne reste actuellement que la tour pour fournir une réalité quantifiable de l’« existant avant incendie », soit environ vingt mètres carrés de surface de plancher.
Cette nouvelle appréciation des juges et du Conseil d'État remet également en cause le rôle de la partie hachurée dans le calcul de constructibilité de la partie haute. Le règlement de la carte inclut en effet cette zone d'environ 7 000 mètres carrés qui n'est ni constructible, ni zone N, mais qui, partie intégrante de la zone UR, permet un calcul de surface de plancher totalement démesuré. Cette zone devrait aujourd'hui raisonnablement être reclassée en zone N, dans la mesure où elle est non constructible et ne permet plus d'augmenter la SP, qui ne peut dépasser celle de l'ancien bâtiment. La Collectivité se penchera-t-elle sur le problème lors de la révision prochaine de la carte et du règlement ?
Reste la partie basse du terrain (zone UV), pour laquelle le règlement n'a pas beaucoup évolué, si ce n'est la suppression de 50 mètres carrés de surface de plancher autorisée et l'augmentation de la surface végétalisée obligatoire qui doit désormais représenter 50 % de la zone constructible.
Mais se pose également pour cette partie basse le problème du canal qui la longe sur toute sa longueur. Celui-ci a en effet été déclaré « servitude d'utilité publique » (SUP) pour l'évacuation des eaux pluviales en 2020, figurant ainsi en annexe du Code de l'urbanisme avec renvoi à l'article R126-1 du Code national. Les modalités de construction de la partie basse de la parcelle devront désormais prendre en considération cette servitude administrative : selon les règlements, en cas de conflit d'usage, elle est opposable à toute demande d'urbanisme et ne peut souffrir aucune dérogation…
Le retour sur investissement, unique raison d'être de ce projet démesuré, s'annonce désormais bien compromis, les investisseurs ne mesurant leur amour pour Saint-Barth qu'au regard des possibilités de bétonnage.
Une occasion en or pour la Collectivité de racheter ce lieu et d'en faire un sanctuaire géré par l'ATE, doublé d'un sentier d'accès public à la plage de Lorient qui en manque cruellement ?
Rêvons un peu, ça ne coûte rien…